Cildo meireles
Article rédigé pour publication dans la revue Arte Futura et élaboré à partir des questions soulevées dans la thèse Cildo Meireles : La physique de l’espace social, soutenue à la City University of New York en 1997).
La physique de l’espace social de Cildo Meireles part d’une question générale : est-il pertinent d’analyser la production d’art contemporain à travers le prisme de l’identité culturelle ? Cette problématique, délicate, implique l’existence de limites et de frontières physiques et conceptuelles, et suppose l’identification de points fixes dans certaines relations d’altérité — une sorte d’action de délimitation de territoire* dans l’univers fragmenté du discours contemporain.
Débattue et explorée dans de nombreux écrits, en particulier à partir des années 60, cette question s’est heurtée à la difficulté d’établir des concepts d’identité, quel que soit le champ de connaissance, en raison du contexte de divisions et de remises en question généré par les bouleversements politiques et les changements constants de paradigmes scientifiques, combinés à une croyance généralisée en un monde en expansion. Parallèlement, des contradictions sociales apparaissaient, générant des espaces d’exclusion, non seulement dans des pays dits « périphériques » comme le Brésil, mais également dans les nations économiquement dominantes. Une situation générale marquée par les binômes stabilité/instabilité et ordre/chaos, qui, bien que présentés comme des dichotomies, se révélaient en réalité être des états d’entropie.
Dans les arts visuels, les années 60 étaient caractérisées soit par des tendances intégrant des manifestations populaires et absorbant des produits issus des médias de masse, bousculant ainsi l’hégémonie de la « culture élitiste » au profit de la culture populaire, soit par des recherches formelles dans le cadre de l’histoire et de la théorie de l’art, telles que le minimalisme, l’art-processus, l’anti-forme et l’art conceptuel. Malgré leurs différences, ces courants partageaient le désir de fragmenter, agrandir, réduire ou réinventer l’objet artistique, cherchant à dépasser sa simple dimension esthétique pour intégrer une dimension éthique. Cette période annonçait la dissolution des frontières entre l’auteur et le spectateur, ce dernier devenant un acteur physique et une pièce essentielle à la composition mentale de l’œuvre. La force de l’art ne résidait plus dans sa matérialité, mais dans un nomadisme visuel et conceptuel.
Dans cette thèse, je concentre mon attention sur les œuvres réalisées par Cildo Meireles dans les années 70, une période d’intense création, marquée par de profonds bouleversements politiques et sociaux. C’est à cette époque qu’il commence à développer Eureka/QuenteTerraCega ou Eureka Blindhotland (1970-75), qu’il considère comme le noyau de son travail — un projet incluant objets, expériences sonores, images insérées dans des périodiques et installations. Parmi ces œuvres, j’ai sélectionné Espelho Cego (1970), Mebs/Caraxia (1970-71), Sal Sem Carne (1976) et Casos de Sacos (1976).
Ces œuvres sont comprises, dans l’ensemble, comme une métaphore de l’espace social. Cette interprétation rejoint celle de Simon Marchán Fiz, qui propose une subdivision de l’art conceptuel, en reconnaissant des versions moins autoréflexives de ce courant. Selon cette conception, les œuvres de Cildo relèvent de ce que Fiz appelle le « conceptualisme idéologique », où « l’œuvre artistique (…) est un sous-système social d’action » parce qu’elle s’organise en fonction de conditions de production liées au contexte socio-historique, conçu comme un moment de flux. Ces œuvres, par leur exploration des paradoxes des limites spatiales, mettent en lumière des situations où les systèmes sociaux et physiques s’entrelacent, suivant une vision contemporaine cohérente avec la physique des systèmes non-équilibrés.
Les réflexions de Cildo sur l’espace apparaissent dans une continuité apparemment contradictoire. Elles articulent l’individualité de chaque pièce avec une recherche d’« expression synthétique », où divers segments de sa production, chacun doté de sa propre instance réflexive, se connectent au corpus général de l’œuvre. Partant de l’hypothèse que, dès les années 70, on trouve les éléments générateurs de sa production ultérieure, j’ai inclus deux installations conçues à la fin des années 60 et au début des années 70, mais réalisées dans les années 80 : Desvio para o Vermelho (1967-84) et Através (1983-89), qui se rapprochent conceptuellement de Malhas da Liberdade (1976).
Malhas da Liberdade, choisi pour clore cette recherche, semble être une structure simple et logique, mais fonctionne comme un indice de la complexité des œuvres de Cildo grâce à son caractère de structure génératrice. Selon l’artiste, cette œuvre est un « module de matérialisation d’aspirations, très lointaines, de créer un type d’espace extérieur, furieux ». Évalué comme expérience esthétique liée au plan culturel, Malhas da Liberdade émerge comme un signe de la complexité de l’action dynamique du sujet face à une structure mobile et désordonnée de la topologie culturelle.
En résumé, les recherches sur les limites de l’espace exposées dans la thèse commencent avec l’installation Espaços Virtuais: Cantos (1967/68) en lien avec Desvio para o Vermelho. Dans ces deux œuvres, ces questions se développent à partir de lieux de convivialité, en l’occurrence l’espace domestique. Dans Espaços Virtuais, il y a une modification des règles de visualité courantes qui, en brisant la logique des mathématiques euclidiennes, nous conduit à un point d’intersection où l’action devient impossible. L’espace, qui se présente comme un fragment dans Cantos, se structure dans Desvio para o Vermelho comme un environnement habitable. Les « déviations » résultent de la « soumission » des objets à des situations de tension appliquées à certains principes physiques, comme la déviation éthique (excès chromatique) et l’altération perceptive dans les trois parties de l’installation : Impregnação, Entorno et Desvio.
Dans Eureka/QuenteTerraCega, l’espace – qui, dans les deux œuvres précédentes, relevait du domaine de l’habitable, du domestique – élargit les notions de spatialité. Inspiré par le phénomène des trous noirs, il explore les situations découlant du conflit entre centre et périphérie : des situations de ghetto. Dans l’œuvre Quente Terra Cega, l’environnement devient un « territoire de densités », où la relation entre poids, volume et masse mise en place remet en question l’insignifiance de la masse par rapport au volume, ou la valeur issue de la signification révélée par l’apparence de l’objet au détriment de son poids ou de son indice matériel. Le regard s’avère insuffisant pour décoder les identités cachées.
Avec une portée étendue, Sal Sem Carne – un disque vinyle LP, l’une des œuvres liées au projet et objet d’étude – met clairement en évidence, à travers plusieurs aspects de sa réalisation (y compris la conception de la pochette et le format du disque lui-même), les « bruits » dans la communication entre deux cultures. La difficulté à distinguer chacune des voix permet l’émergence d’un espace où se produit une troisième voix non nommée, une conjonction d’une action collective sans territoire.